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Politique-Opinion : Ce qu’on ne dit pas à la Nation de la mission d’Antony Blinken en Haïti

La mission du Secrétaire d’État américain, annoncée dans toute la presse nationale et internationale, depuis plus d’une semaine pour ce jeudi 5 septembre 2024, contrairement à la Guerre de Troie du dramaturge français, Jean Giraudoux, elle a eu lieu, cette mission. Et surtout, elle a été accueillie par une bonne frange de la société haïtienne avec, dirait-on, une certaine indifférence, pour ne pas dire, une belle suspicion.

Après tout, les multiples missions internationales jalonnant notre histoire n’ont-elles pas fini par anesthésier nos esprits?

Ce maintien apparent de notre pays sous un joug colonial ne cesse de se ressourcer, de se renouveler, de se (re) définir, ou de se (re) dessiner. Cette fois, sous des formes plus insidieuses et absolument modernes. N’est-ce pas Léo Ferré qui a chanté , une fois:

 

 » La vie moderne.

Vie moderne…  »

 

Non, sans une pointe d’humour et de dérision.

 

C’est que, de la chanson, à la politique internationale, l’histoire (avec un grand H aussi) semble bel et bien un éternel recommencement. On n’a qu’à se souvenir par exemple, de la Première Commission Civile française de 1791, à Saint Domingue (actuellement Haïti) armée à l’époque, d’instructions strictes, suivie de la deuxième Commission civile, de 1792, dirigée alors par Sonthonax, Polvérel et Ailhaud, soutenue cette fois- ci par une armada de quatorze mille (14 000) hommes pour imposer leur fameuse loi du 4 avril.

Puis, en janvier 1796, une nouvelle Commission, toujours sous le leadership de Sonthonax, débarque (enfin) pour rétablir l’autorité de la France sur Haïti.

Ainsi, l’histoire de la colonisation se répète avec d’autres acteurs, d’autres stratégies, mais toujours, avec la même finalité : maintenir la domination. Sous quelle que forme que ce soit.

CONTEXTE ET MESSAGE IMPLICITE DE LA MISSION

Avant de quitter le pays, le Secrétaire d’État américain, dans un décor « made in USA », a tenu une conférence de presse quasiment solitaire pour exposer les raisons de sa visite. Certains se lamentent de l’absence d’une conférence conjointe avec les dirigeants haïtiens. Il y en qui se lamentent aussi de photos de groupe (s) manquant pour illustrer notamment les objectifs des réunions privées. Ceci, au moins, par respect pour notre petite intelligence.

Mais soyons réalistes : dans ce contexte pré-électoral aux États-Unis, en novembre prochain, aucun officiel américain ne souhaiterait être vu aux côtés de dirigeants haïtiens, considérés trop souvent, tant de l’intérieur que de l’extérieur, comme des corrompus et des parias.

Pourtant, celles et ceux qui connaissent bien les rouages de la Diplomatie en général savent que l’absence d’apparence publique ne fait que masquer les véritables enjeux.

A ce stade, voyons les points clés de la conférence de presse du Secrétaire d’État Antony J. Blinken:

Progrès politique en Haïti : M. Blinken a reconnu les efforts d’Haïti dans l’établissement d’un Conseil présidentiel de transition et la formation d’un gouvernement. Il a souligné l’importance d’organiser des élections libres et transparentes.

 

INITIATIVES DE SÉCURITÉ

M. Blinken a mis en avant la mission de soutien à la sécurité multinationale (MSS) en cours, avec plus de 380 membres du personnel kényan venu récemment en appui à la Police nationale haïtienne (PNH) dans la lutte contre la violence des gangs. Les États-Unis, affirme-t-il, ont contribué à hauteur de plus de 300 millions de dollars pour soutenir cette mission militaire internationale , mais des ressources supplémentaires en personnel et en financement sont encore nécessaires, selon lui.

SOUTIEN HUMANITAIRE ET DÉVELOPPEMENT

M. Blinken a avancé un chiffre de quarante (45 ) millions de dollars d’aide humanitaire supplémentaire pour Haïti, portant le total à plus de 210 millions de dollars pour cette année. Plus loin, M. Blinken reconnaîtra que, pour l’année 2021, les États-Unis avaient également fourni plus de huit cents (800) millions de dollars en assistance au développement, à l’économie et à la santé en Haïti.

 

FOCUS ÉCONOMIQUE

M. Blinken a discuté des efforts visant à stimuler l’économie haïtienne, notamment dans le secteur de l’habillement, qui représente près de 90% des exportations du pays. Il a insisté sur la nécessité pour le Congrès américain de (ré) autoriser le programme de préférences commerciales HOPE/HELP, qui permet l’exportation sans droits de douane, de vêtements produits en Haïti, vers les États-Unis.

COOPÉRATION INTERNATIONALE

Il a salué les contributions de pays comme le Canada, la Jamaïque et El Salvador à la mission MSS, tout en soulignant la nécessité d’un soutien international continu pour la sécurité et la reprise économique d’Haïti.

ENGAGEMENT DES ÉTATS-UNIS

M. Blinken a réaffirmé l’engagement des États-Unis à aider Haïti à mieux mater les actions criminelles des gangs, à restaurer la sécurité et à parvenir à une stabilité à long terme, tout en veillant, dit-il, à ce que les institutions haïtiennes puissent gérer ces efforts de manière autonome à l’avenir.

PAR DELÀ LA MISSION BLINKEN

On se souvient qu’il y avait en France, une célèbre émission télévisée qui intitulée : ON NE NOUS DIT PAS TOUT.

Or, de tout ce qu’on dit ou qu’on ne dit pas, il y a des faits qui crèvent les yeux et nous attristent.

Il y a d’abord un majestueux Boeing blanc de luxe qui débarque à l’aéroport international d’Haïti rien que pour que ses occupants officiels viennent nous parler de nos propres élections, de notre propre (in) sécurité, de notre propre situation socio-politico-économique, et donc, qui viennent nous dire ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Tout ceci, c’est si l’on en croit les performances, les prestations, ou encore, les propos  » officiels »…

Il y a ensuite notre ministre des Affaires étrangères, généralement bien vue pourtant, Dominique Dupuis, qui fait partie d’une structure d’accueil du Secrétaire d’État sur le Tarmac de l’aéroport, comme si le Secrétaire d’État était visiblement bien dans sa peau, dans son tiroir, ou dans son patelin, et qu’en fait, c’est madame Dominique Dupuis elle-même qui paraissait avoir l’air étrangère aux  » affaires « .

Il est déplorable enfin (en fin de mission du Secrétaire d’État ) de voir notre Président du Conseil Présidentiel de Transition, Edgar Leblanc Fils, pour qui nous avons un certain respect, se figer dans un décor on ne peut plus minable, derrière lui, une porte close, à sa droite, le drapeau haïtien, il délivre un message visiblement « dicté »…

Ce message se résume donc à deux points cruciaux : la sécurité et les élections.

Comme si c’était exactement cela l’objectif de la mission Blinken, ce jeudi 5 septembre 2024, en Haïti.

 

En tant qu’Haïtienne, je ne sais s’il faut en rire ou s’il fait en pleurer.

Ce qui est certain, c’est que j’ai le droit d’avoir peur pour l’avenir de notre nation.

CE QUON NE DIT PAS DE LA MISSION BLINKEN

L’Administration Biden multiplie les efforts pour transformer la MMSS (Mission Multilatérale de Sécurité et de Soutien) en une mission de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU, Organisation des Nations Unies. Si l’on en croit les chiffres annoncés pour soutenir la MMSS, un montant colossal devait être mobilisé sur une période définie. Pourtant, jusqu’à ce jour, on n’a vu aucune confirmation officielle quant à la disponibilité de ces fonds.

À peine un tiers de ce montant a été collecté. Mis à part les États-Unis, le Canada, et la France aucun autre pays ne semble disposé à mettre la main à la poche. Le financement reste donc un défi majeur.

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Par ailleurs, les Kenyans appelés en appui pour former l’épine dorsale de cette mission, ils sont déjà présents chez nous sur certains lieux d’opérations , mais , ils ne sont apparemment pas les bienvenus sur cette terre de Dessalines. Il se murmure même, sur les réseaux sociaux, qu’un conflit de basse intensité se développerait entre la police nationale haïtienne (PNH) et ces forces kényanes. D’où, un malaise profond et un grave problème de coordination capable au bout du compte de fournir aucun des résultats escomptés.

Pourtant, les États-Unis qui ont conçu, orchestré, animé cette mission, ne peuvent se permettre d’en constater un quelconque échec. Le 5 novembre approche aux États-Unis. Le monde entier a les yeux rivés sur cette date fatidique. Le président, Joe Biden, lui-même avait reçu, en allié, le président kényan William Ruto en mai 2024. Le Kenya représentait alors la réponse idéale à la crise haïtienne pour des raisons multiples : question de race, de mystique, de couleur de peau, de première identité physico-culturelle, de reconnaissance internationale, de souplesse politique, de pouvoir créer tout de suite un trompe l’œil dans l’opinion nationale et internationale etc….

LA MENACE DUNE MISSION ONUSIENNE PERMANENTE

Or, une mission onusienne pourrait bien faire l’affaire et contribuer à résoudre le problème de financement, autant, elle servirait, par la même occasion, les intérêts des colons, les intérêts traîtres et des Bourgeois.

Toutefois, cette mission ne viendrait pas et ne s’établirait pas sans son lot de dangers. Et comme par le passé, une telle mission est appelée ainsi à amener avec elle, chez nous, tout son cortège d’exploitations, d’abus divers et variés, de maladies et de misères, aggravant ainsi l’insécurité et compromettant tout l’avenir d’Haïti.

Depuis la Minustha, entre 2004 et 2017, il est connu donc que ces forces étrangères ne chercheront jamais à éradiquer l’insécurité, mais seulement à la brosser, à la caresser du poil, pour justifier leur présence en permanence et s’installer définitivement chez nous, afin de profiter de l’exploitation de nos ressources, en parfaite harmonie avec les intérêts de certains groupes dominants.

Le Secrétaire d’État, Blinken, lors de sa visite, a-t-il profité pour passer des instructions ou pour lancer des avertissements implicites à ceux qui envisageraient d’accorder des contrats de gestion des entreprises de perception de l’État haïtien à des compagnies non-américaines?

Personne ne le sait exactement.

Ce qui est sûr, c’est qu’il existe une sorte de course de plus en plus effrénée pour l’obtention de contrats de services et d’exploitation des ressources haïtiennes.

Tout ceci renforce les spéculations autour de la compétition internationale pour accéder aux marchés et aux ressources d’Haïti, en particulier à un moment critique où le pays devrait plutôt chercher pour sa part à renforcer ses institutions économiques et à attirer des partenaires pour des projets d’infrastructure et de développement.

Les Bourgeois (haa le mot de Jacques Brel), toujours en quête de contrats juteux profiteront bien de la présence onusienne. Ils ne manqueront pas de louer à l’Occupant, leurs imposantes propriétés , leurs vastes terrains, tenez-vous bien, à des prix exorbitants. Les élites locales, habituées à bénéficier de ces interventions, y trouveront encore une fois leur compte. Il n’est point surprenant de constater, en revisitant l’histoire, que ce phénomène n’est guère inédit. En effet, au cours des années 1930, une frange non négligeable de la bourgeoisie haïtienne avait rédigé une pétition à l’intention de l’administration américaine, sollicitant le prolongement de l’occupation des forces américaines en Haïti. Ce geste, empreint d’une certaine servilité, traduisait déjà un penchant inquiétant de certains segments des élites locales pour la tutelle étrangère. Quant aux citoyens ordinaires et leurs descendants, ils demeuraient, comme souvent, à la merci de décisions prises en dehors de leur volonté, tout en continuant de porter sur leurs épaules le poids des oppressions successives.

Il n’a pas été étonnant pour finir, que cela soit notre adversaire le plus acharné, le président dominicain, Luis Abinader, qui nourrit toujours l’ambition secrète de s’imposer en leader d’une Hispaniola imaginaire (cette utopie d’une unification des deux nations que certains caressent encore), et qui en marge de la mission Blinken, se présente encore comme le premier à proclamer (à rappeler) l’impérieuse nécessité de cette mission de stabilisation pour Haïti.

Cependant, laissons cela de côté, afin de ne pas attiser davantage les braises de la discorde. Au-delà de la politique et de Luis Abinader, Président actuel en République Dominicaine, Haïti et les voisins dominicains resteront des peuples frères, ils resteront pour reprendre le mot du poète, René Philoctète, un  » Peuple de terres mêlées « …unis par l’amour, par la terre ferme, par un territoire et par la culture.

Trêve de poésie et de rêves, tout compte fait, il semble donc qu’Haïti est définitivement pris dans une spirale infernale. Haïti est pris dans un étau, en sandwich dans un ping pong de pays qui ont juré dans leur unité stratégique et machiavélique, de se venger de son passé, en utilisant nos ressources intellectuelles internes comme en 2004, puis, lors de la construction du canal de la rivière Massacre et enfin, avec toute la déstabilisation qui s’en est suivie et qui nous ronge douloureusement de nos jours.

Adye Boukman, nous avons plus que jamais besoin d’un nouveau Bois Caïman pour nous aider à retrouver notre chemin…

Bref.

La solution ne réside donc ni dans la MMSS, ni dans une quelconque intervention onusienne. Elle réside dans nos efforts à nous concentrer sur la professionnalisation de la Police nationale d’Haïti (PNH).

Il est évident que ce sont eux, et non les forces kényanes, qui mènent les opérations sur le terrain.

Il est impératif d’entamer un processus rigoureux de filtrage ou de vetting des agents de la PNH afin d’assurer une force digne de confiance.

De plus, la formation d’unités anti-gang robustes, dotées de matériels adéquats, serait une avancée cruciale pour restaurer l’ordre.

En parallèle, un véritable dialogue politique pour réorienter notre destin.

À travers une CNDDR (Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion) renforcée, il s’avère important que les groupes armés, les gangs violents, kidnappeurs et assassins, comprennent qu’ils ne peuvent plus continuer à prendre le pays en otage.

Et puis, l’armée. Toujours l’armée. En outre, l’armée. Ceci dit, il serait donc sage de travailler en parallèle à la mobilisation d’une armée vraiment moderne, capable de protéger efficacement nos frontières et nos territoires contre toutes les menaces extérieures et d’éviter concrètement la répétition de ce plan macabre de gangrenisation de notre tissus social, mis sur pied par une association mafieuse depuis 2016, à travers la frontière et par tous les moyens possibles, d’armer systématiquement des voyous en cravate et sans cravate, dans le but essentiel de déstabiliser notre économie nationale et de détruire l’idée même d’un tourisme haïtien, vecteur de développement national ou de progrès tout court.

Marnatha I. TERNIER

6 septembre 2024

LE FACTEUR HAÏTI (LFH)